Connaissez-vous le docteur Atul Gawande, auteur du livre “Nous sommes tous mortels” ? C’est un chirurgien expérimenté qui s’est impliqué dans les politiques de santé publique aux Etats-Unis. Atul Gawande explique dans ce livre qu’il est vraiment très difficile de réaliser que vous êtes en train de mourir.
Il est tout aussi difficile de reconnaître qu’un être cher est en train de mourir. Il nous dit que, quand il s’agit d’évoquer la fin de vie et la mort, pour la plupart des gens c’est la peur règne. C’est le cas lorsque l’on évoque la fin de vie d’un parent.
Mais le docteur Gawande souligne que les médecins nourrissent involontairement la peur. Ils le font grâce à une tactique tout à fait compréhensible, mais totalement inefficace, pour faire face à la peur : le déni.
Votre père pourrait se tenir juste devant les portes du parais, prendre la main de Saint-Pierre, et pourtant il y a de fortes chances que son médecin promette au même moment à votre mère qu’il fera tout ce qu’il peut pour ramener votre père à la maison à temps pour Noël.
Confronté à la fin de vie d’un parent… Comment déjouer la peur ?
Les conséquences de ce cocktail de peur et de déni sont doubles :
- premièrement, le décès d’un parent prend tout le monde au dépourvu. Et, quand est décès n’est pas “attendu”, des efforts extraordinaires sont produits pour essayer de prolonger la vie, ce qui est rarement la meilleure solution pour tout le monde ;
- deuxièmement, cela prive le patient de la seule chose qui atténue la peur : faire face à ce qui vous fait peur (les bouddhistes considèrent la peur comme une erreur de perception et je suis d’accord avec eux).
Notre système de santé, basé sur le déni et la peur, qui prolonge la vie à tout prix, ne nous donne qu’une chose : plus de temps avant la mort.
Peut-être vaut-il la peine de se demander si votre mère a besoin de plus de temps. Ou, si elle a vraiment besoin d’une vie de meilleure qualité pour le temps qu’il lui reste à vivre. Et, qu’est-ce qui constitue une vie meilleure ?
C’est répondant à ces questions que nous recevons le cadeau que la mort offre (mais que la peur de la mort nous empêche de percevoir) : le sens.
Malheureusement, très peu d’entre nous se promènent avec la compréhension et la conscience que la mort peut survenir à tout moment et que notre objectif le plus important devrait être une vie aussi pleine de sens et de profondeur que possible, chaque jour.
En ce qui me concerne, je dois admettre que je ne suis pas la plus exemplaire des personnes. Mon corps me rappelle régulièrement qu’il se fatigue et je prends à nouveau conscience de la finitude de la vie (mais il ne s’agit là que d’une prise de conscience toute relative).
Il est peut-être injuste de demander aux médecins de nous aider à déterminer ce qui a le plus de sens au moment où la fin de la vie approche. Mais ils devraient avoir le courage de nous dire honnêtement à quoi s’attendre avec notre corps, afin que nous puissions à notre tour mettre de l’ordre dans nos affaires dès que possible. Nous avons besoin d’informations complètes de leur part sur les conséquences des décisions de prolonger la vie.
De nombreux médecins tentent de changer la culture de leur profession et des hôpitaux où ils exercent. Cependant, à mesure que ce changement s’installe, je vous conseillerais les trois choses suivantes afin d’aider votre mère ou votre père à trouver un sens pour le temps qu’il nous reste à vivre au lieu de vivre dans la peur.
Avant de partager ces trois idées, je tiens également à mentionner que nous avons tous notre part de responsabilité dans la situation actuelle : nous sommes tous dans le déni, quand nous sommes confrontés à la peur.
Nous avons du mal à accepter que nos parents vont réellement mourir un jour… C’est à cause de cet état d’esprit que nous sommes pris au dépourvu. C’est pour cette raison que, même si votre parent âgé est en pleine forme, qu’il pratique une activité physique régulièrement, qu’il mange sainement et voyage à travers le pays… Je vous recommande les conseils suivants…
- Il faut se parler
Les médecins auront plus de facilité à éviter la peur et le déni s’ils savent ce qui compte pour votre mère et votre père. Bien que les médecins ne pensent peut-être pas à poser ce type de questions, il est important que vous le fassiez vous-même afin de pouvoir partager avec les médecins ce qui est le plus important pour vos parents.
Il existe un livre sur ce sujet: “The Conversation”, écrit par le docteur Angelo Volandes. Ce livre n’est malheureusement pas traduit en français.
Il s’agit d’un sujet très sensible et, avec les témoignages que j’ai pu recueillir autour de moi et ce que j’ai pu lire, il ne s’agit pas d’aller voir vos parents pour leur demander comment ils veulent mourir… Au contraire, abordez le sujet par des questions positives sur ce que vos parents aiment faire, ce qu’ils attendent avec impatience, quelle est la meilleure partie de leur journée, etc.
Ces questions vont peut-être aussi permettre de redécouvrir vos parents sous un nouvel angle. Elles sont également un échauffement pour les questions plus difficiles qui éclaireront de manière importante les soins de fin de vie, comme par exemple à quel point ils veulent éviter certains symptômes ou ce qui les effraie le plus au sujet des soins médicaux en fin de vie.
Il peut même être utile d’enregistrer la conversation et, bien sûr, il peut également être utile de rappeler à vos parents que vous les aimez.
- Obtenez ces témoignages par écrit
Il est important de mettre par écrit les souhaits de vos parents sur ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas, en particulier sur les diverses formes de soins qui prolongent la vie.
Non seulement vous voulez leur témoignage par écrit, mais vous voulez avoir ce document dans le dossier du médecin et de l’hôpital, et vous voulez en avoir une copie à la maison classée dans un endroit évident : sinon vous courez le risque qu’en cas d’urgence, ces instructions soient ignorées.
Je n’ai pas encore entièrement lu le livre du docteur Volandes, mais il y explique à quel point il est utile pour ses patients de comprendre et de visualiser les interventions médicales qui prolongent la vie.
Le docteur Volandes a constaté que les patients se sentent beaucoup mieux informés pour prendre des décisions sur leur fin de vie après avoir visité une unité de soins intensifs. C’est dans ces unités que les patients les plus sérieusement touchés par le coronavirus étaient traités, par exemple. En visitant une telle unité, on peut observer des ventilateurs et bien d’autres machines en action. On peut ainsi mieux comprendre comment cela fonctionne.
Je suis à 100% favorable aux soins pour prolonger la vie. Mais je pense que chacun d’entre nous doit comprendre ce que cela implique. Si le patient (un de vos parents) est une personne âgée et fragile dont les chances de récupération sont limitées… vous devez comprendre ce que cela signifie vraiment, ce que votre parent va devoir vivre et subir.
Les unités de soins intensifs ne sont là que pour une durée limitée et pour prendre en charge les patients qui présentent une défaillance d’ordre vital. Ces unités se situent entre les services de réanimation et les unités de surveillance continue. Cela aide à se faire une idée de la gravité de la situation quand quelqu’un est admis dans une unité de soins intensifs.
- Se préparer à défier l’autorité
Il y a fort à parier que vous serez amené à avoir des conversations difficiles et que vous serez parfois en opposition avec les médecins et le personnel hospitalier.
Vous devrez peut-être poser des questions de différentes manières pour obtenir des réponses qui vont dans le sens des souhaits de votre famille. Vous devrez peut-être vous mettre directement en face de quelqu’un qui travaille dans un hôpital et être prêt à dire très fermement aux médecins et au personnel de l’hôpital ce que veut votre parent.
Une personne que je connais et dont les souhaits de la mère étaient bien versés au dossier médical, a pourtant dû empêcher une infirmière d’effectuer une intervention que sa mère avait clairement déclarée qu’elle ne voulait pas.
C’est une position difficile. Qu’est-ce qui est juste ? Nous ne voulons pas voir notre parent mourir. Nous ne voulons pas non plus leur infliger une fin de vie sous intubations et des interventions qui rendent leur fin de vie difficile et prolonger la vie dans quelles conditions… Nous les aimons et nous voulons respecter leurs souhaits.
Si nous savons ce que notre parent veut, cela peut nécessiter de faire face aux figures d’autorité comme les médecins. C’est quelque chose que nous n’aimons pas faire. La plupart d’entre nous peuvent se sentir mal à l’aise dans une telle situation (je sais que ce serait mon cas).
Demandez aux médecins de vous parler avec honnêteté de l’évolution de la santé de votre parent, voire de sa maladie. Dites-leur que vous ne voulez pas recevoir de faux espoirs et que vous êtes prêt à prendre des décisions basées sur les meilleures informations possibles.
Et surtout, reconnaissez à quel point c’est difficile.
Le seul échec est de laisser la peur prendre le dessus et nous laisser dicter nos décisions.
Nous pouvons apprendre beaucoup les uns des autres face à la maladie et face au grand âge de nos parents. Confronté à la fin de vie d’un parent, il nous faut, plus que jamais, être à l’écoute de ses souhaits, être présent et le soutenir dans ses choix.
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