Au cours de mes études, j’utilisais le terme de « professeur ingrat » pour qualifier les situations au cours desquelles les efforts fournis n’étaient pas récompensés à leur juste valeur. Si un professeur était réputé pour ne jamais donner de note supérieure à 15 sur 20 et si vous obtenez un 15 de sa part, seriez-vous en colère contre vous-même pour ne pas avoir obtenu un 16 ou un 17 ?
A force d’expérience, j’ai appris que lorsque vous perdez de vue la valeur de vos efforts, il est toujours agréable d’avoir un ami pour vous faire remarquer que vous êtes dans la classe du “professeur ingrat”. C’est tout particulièrement le cas quand on évoque la prise en charge d’un parent.
Nous avons tous besoin d’être rappelés qu’il existe de nombreuses situations de la vie au cours de laquelle nous serons confrontés à un “professeur ingrat”. C’est certainement davantage le cas pour les personnes qui peuvent avoir tendance à être discréminées, comme les personnes de couleur, les femmes et mêmes les personnes âgées.
J’ai été frappé, comme bien d’autres avant moi, par la situation incroyablement complexe, voire impossible, que représente le défi de la prise en charge d’un parent. Je me suis renseigné et ai regardé de plus près ce qu’on entend par programme de soins gériatriques. Ce plan est essentiellement un ensemble de recommandations formulées par un observateur tiers professionnel impartial qui décrit l’étendue des soins qu’un parent doit recevoir et dont vous, et votre famille, êtes responsables.
Ce périmètre couvre ce que j’appelle les trois piliers de la prise en charge d’un parent.
La prise en charge d’un parent entraîne une charge de travail insoupçonnée !
Je vous en fait la démonstration à travers les 3 piliers décrits ci-dessous.
Premier pilier : les soins personnels quotidiens
D’abord et avant tout, vous devez mettre sur pied un programme pour les services que vous paierez ou que vous pouvez prodiguer (ou que d’autres membres de la famille ou des amis feront) qui garantissent que vos parents obtiennent des besoins vraiment fondamentaux.
Cela inclut, par exemple, de l’aide pour marcher, se nourrir, s’habiller, se laver, aller aux toilettes, etc. Bref, il s’agit des activités les plus basiques qui font de nous des humains.
Lorsque la fragilité s’installe, notre capacité à faire ces activités de base diminue. Entrez dans n’importe quelle maison de retraite et vous verrez la toute dernière étape de ce déclin, avec des gens parfois même incapables de s’asseoir.
Ce déclin peut se produire rapidement (après un AVC par exemple) ou il peut se produire graduellement… et cela commence par des difficultés à faire des choses relativement simple comme faire les courses, cuisiner, prendre ses médicaments, gérer ses finances, utiliser un téléphone, conduire, s’occuper d’un animal de compagnie, prendre soin de son jardin.
Vous devez cependant savoir que ce n’est pas un chemin linéaire et tout tracé. Lorsqu’une nouvelle fragilité apparaît dans la vie de vos parents, leur qualité de vie au quotidien dépend du bon fonctionnement de l’ensemble des événements de leur quotidien. Cela me fait penser à une rangée de dominos alignés : il suffit qu’un domino tombe pour entraîner la chute de nombreux autres par la suite.
Vous êtes sur une crête, prêt à apprendre une mauvaise nouvelle qui va compliquer la situation : que ce soit une mauvaise grippe, une chute ou même un voisin qui vous donne un coup de main de temps à autre et sur qui vous ne pourrez plus compter parce qu’il déménage.
Savoir faire face aux événements auxquels on s’attend et pour lesquels on est, plus ou moins préparé, mais aussi aux imprévus, à la vie quotidienne de votre parent et à tout ce qui peut changer… c’est une partie importante et complexe de votre rôle d’aidant.
Deuxième pilier : les soins de santé
Quand il s’agit de prendre soin d’un parent, les soins personnels quotidiens ne sont qu’une pièce du puzzle.
En plus de cela, il faut prendre en compte les soins de santé et le travail qui entoure l’accompagnement d’un corps âgé et vieillissant au cours des dernières étapes de la vie. Les exemples de coureur de marathon ou de yogi pratiquant qui ont 90 ans sont définitivement des exceptions qui confirment la règle.
La plupart des personnes vivant au-delà de 80 ans doivent faire face à des problèmes de santé de plus en plus compliqués associés au vieillissement des cellules.
Ces problèmes de santé nécessitent un suivi médical régulier pour être correctement gérés. Sachez qu’une personne âgée de 80 à 85 ans doit en prendre, en moyenne, au moins 8 médicaments chaque jour. La mauvaise gestion de la prise de ces médicaments peut entraîner toutes sortes de complications, de nouveaux problèmes de santé et même une hospitalisation (j’évoquais l’effet domino, tout à l’heure…).
Outre la gestion des médicaments, voici d’autres tâches cruciales qu’il ne faut surtout pas négliger :
- évaluer la sécurité à domicile ;
- prêter une attention particulière aux risques de dépression et ne pas laisser ce risque se développer ;
- suivre les dossiers médicaux ;
- surveiller et/ou gérer la perte de mémoire.
Les gériatres qualifiés et les médecins généralistes qui peuvent vous aider à résoudre tous ces problèmes sont rares. Les interactions et la gestion des médecins sont un autre élément que vous devrez ajouter à la liste de vos responsabilités.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur notre système de santé, mais ça dépasse l’objectif de cet article. Je tiens cependant à faire passer un message important : vous devez savoir que les décisions en matière de soins prises par les hôpitaux (et autres établissements de soins) peuvent être faussées par leurs priorités, qui sont souvent sans rapport avec ce dont votre parent a le plus besoin.
Je vous donne un exemple : les personnes qui planifient les sorties d’hôpitaux subissent souvent beaucoup de pression pour libérer des lits au plus vite et faire sortir les patients rapidement. C’est un aspect logistique qui est, la plupart du temps, prioritaire sur l’aspect médical (quel est le meilleur moment et le meilleur endroit pour “décharger” un patient).
Troisième pilier : les dispositions juridiques et logistiques
Comme si cela ne suffisait pas, il existe une troisième catégorie de responsabilités et charge de travail à endosser.
Vous, votre parent, vos frères et sœurs, votre famille… Vous devez décider de qui contrôle l’argent, qui prend les décisions en matière de soins et quelles seront les décisions en matière de soins. Idéalement, vous devez faire ces choix avant d’être contraint de prendre ces décisions. Sinon, c’est l’hôpital, la maison de retraite ou Dieu sait qui… qui va prendre des décisions importantes sans aucune supervision et sans vous en informer.
Prendre soin de ses parents
Vous êtes un aidant familial qui s’occupe d’un parent et vous avez peu à peu l’impression que vous sacrifiez votre santé mentale et votre vie… Sachez simplement que les trois piliers des soins parentaux représentent un travail extrêmement compliqué, voire impossible à gérer seul. Le stress et le burn-out sont bel et bien réels chez les aidants.
C’est pour cette raison que je classe le rôle d’aidant dans la catégorie du « professeur ingrat ». Vos efforts sont héroïques. Et pourtant, les retours d’information vous donnent l’impression générale que vous n’en faites pas assez, ou pas assez bien. Et vous allez culpabiliser.
Bien sûr, votre rôle d’aidant serait plus facile si nous avions un système de soins et une société mieux préparé et adapté pour accueillir le nombre croissant de personnes âgées de plus de 80 et 90 ans. Et il nous faudrait certainement un meilleur moyen, plus facile et moins coûteux pour tout le monde de souscrire une assurance dépendance sans toutes les conditions et jargons écrits en tout petits caractères dans les contrats, pour faire face le jour où nous en aurons besoin aux soins coûteux liés au grand âge.
Il apparaît ici ou là des initiatives positives et intéressantes, comme la création de communautés qui accueillent les personnes vieillissantes : les personnes âgées s’associent pour apporter des services et des soutiens dans leurs quartiers afin qu’ils puissent répondre à certains de leurs besoins et rester dans leur communauté et à la maison. Cela aide à retarder un éventuel départ pour une maison de retraite.
Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que les dirigeants politiques et ceux qui sont à la tête de sociétés commerciales réinventent le vieillissement, qu’ils dépassent les clichés sur les personnes âgées et arrêtent de considérer les personnes âgées comme fragiles. Il faut arrêter de vouloir placer nos seniors les plus âgés dans des complexes qui virent au mouroir ou de les garder isolés dans leurs maisons (ou dans votre maison !)… avec un seul ou deux enfants adultes transformés en aidants et qui doivent se rendre disponibles pour répondre à une vaste gamme de besoins.
Notre société comptera bientôt plus de personnes âgées de plus de 65 ans que de jeunes de moins de 20 ans. La prise en charge et l’accompagnement du grand âge est devenu une priorité sociétale. Au fur et à mesure que de plus en plus de personnes franchissent le seuil de la vieillesse, nous serons relativement moins nombreux à être capables de gérer, de payer et de faire tout travail que cela demande.
Notre société actuelle n’est pas capable d’assumer les problèmes de dépendance croissants au fur et à mesure que les “baby boomers” vieillissent… Le fait est que ce travail est délégué de facto aux enfants et aux autres aidants. Avec les obligations professionnelles et l’éloignement, cette solution n’est pas raisonnable. Cela va forcément fragmenter et mettre à rude épreuve de larges pans de notre tissu social.
Alors que toutes les familles ne peuvent pas pleinement assumer le rôle d’aidant, la délégation à des maisons de retraite n’est pas une solution suffisamment humaine. La publication récente du livre intitulé Les Fossoyeurs n’est que la partie visible de l’Iceberg.
En attendant (et espérant) que la société se transforme peu à peu, nous pouvons au moins commencer à nous organiser pour partager le fardeau que les trois piliers mentionnés ci-dessus dans la prise en charge d’un parent font peser sur nos épaules d’aidants familiaux.
N’hésitez pas à parcourir mon site internet. J’essaie de publier des articles de qualité pour nous aider à “naviguer” à travers les affres de l’âge.
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